« Le regard intérieur »
du 7 septembre au 6 octobre 2024
La Galerie de la Cascade présente, avec fierté, à partir du 7 septembre 2024, l’artiste américain Francisco BENITEZ. Une ouverture sur les artistes d‘ailleurs que l’association étend réitérer en présentant chaque année une ou un plasticien d’un pays différent.
Ma dernière exposition personnelle en Aveyron remonte à 1997 et c’est un grand bonheur pour moi de m’emparer aujourd’hui des murs de la Galerie de la Cascade. Artiste américain aux origines en partie espagnoles, exposant souvent en Europe, j’ai toujours énormément apprécié le dialogue, riche, qui se noue ici avec les visiteurs et amateurs d’art. Je suis persuadé que cette nouvelle exposition à la Galerie de la Cascade sera à nouveau l’occasion de belles rencontres humaines et de riches échanges.
Le portrait a toujours constitué l’un des thèmes centraux de mon œuvre, depuis mes débuts lorsque je peignais des scènes de flamenco pour le tablao de ma mère à Santa Fe. J’ai réalisé au cours de ma carrière artistique un véritable tour de la Méditerranée et de ses cultures, depuis les traditions de la Grèce et de la Rome antique jusqu’aux portraits du Fayoum, au baroque du Caravage et à la décadence du Rococo français, représenté notamment par Jean-Marc Nattier et Jean-Etienne Liotard. Bacon, Freud et Rustin m’ont aussi influencé.
La majorité de mon œuvre se concentre sur les femmes. On me demande souvent pourquoi et je suis incapable d’offrir une réponse entièrement satisfaisante. Je trouve les sujets féminins poétiques et émouvants. J’ai grandi entouré de femmes fortes et tragiques à la fois, et elles sont devenues le thème de la majorité de mon œuvre, que ce soit à l’encaustique (peinture à la cire chaude, une technique héritée de l’Antiquité grecque), à l’huile ou autres techniques. Au cours des dix dernières années, je me suis plus particulièrement dédié aux portraits d’enfants ou de jeunes femmes, parfois vêtues de robes du XVIIIème siècle et posant dans des paysages qui peuvent être vierges mais aussi industriels. Ces tableaux évoquent indirectement la crise écologique contemporaine qui trouve une partie de ses origines dans l’élan colonial du XVIIIème siècle.
Le portrait constitue selon moi un acte politique. Lorsque j’examine les traditions picturales à travers lesquelles nous, êtres humains, explorons la complicité relativement narcissique qui lie l’artiste et son sujet, je constate qu’un sous-texte ou courant sous-jacent définit toujours ce dernier selon des catégories telles qu’oppresseur/opprimé, admirateur/admiré, amant/aimé….
Quelques œuvres exposées à la Galerie de la Cascade appartiennent à une série intitulée, Doña Inés a perdu sa pantoufle, que j’ai exposée à Santa Fe, où j’habite, ainsi qu’à Noto, en Sicile, dans un hôtel particulier baroque. Elle traite des relations entre une aristocrate espagnole imaginaire, nouvellement arrivée dans l’Amérique coloniale du XVIIIème siècle, et sa servante amérindienne, enlevée à son peuple et forcée à l’esclavage. Cette série explore le processus du portrait, la façon dont il crée de fausses images du pouvoir et exprime la vulnérabilité pure de l’opprimé. Le portrait exprime aussi les contradictions et complicités qu’entrainent des relations aussi peu naturelles.
La trentaine d’œuvres que je montre à la Galerie de la Cascade (peinture à l’huile, encaustique, dessin au fusain) reflètent la diversité de mes sources d’inspiration à travers l’histoire de l’art, et mon évolution en tant qu’artiste. On y retrouve toujours cependant ma fascination du portrait et de la condition humaine. Le mot grec prosorpon signifie à la fois visage et masque. Mon intention ici est d’écarter le masque pour révéler la vie intérieure du sujet, ou de le laisser en place mais parcouru de fêlures à travers lesquelles on devine la réalité vécue de ce même sujet.
– Francisco Benitez, 2024
La peinture de Francisco Benitez est depuis toujours consciente des divers courants figuratifs de l’histoire de l’art, depuis la période grecque jusqu’à l’art contemporain. Ses principales références sont la peinture hellénistique et romaine tardive, le caravagisme et les courants picturaux qui ont existé entre l’Italie du Sud et l’Espagne au XVIIe siècle et qui continuent d’influencer les genres figuratifs les plus connus aujourd’hui (la Nouvelle Figuration, la pittura colta italienne, l’Anachronisme, la peinture métaphysique de De Chirico).
Sa recherche, également conceptuelle, vise à donner une vision large au spectateur contemporain en soulignant, notamment dans sa production de portraits, le rôle indispensable et intemporel de la construction de l’image. Ses techniques de prédilection sont essentiellement la peinture à l’huile et la peinture à l’encaustique, qui lui permettent de souligner l’importance de la matière dans la représentation ; il faut cependant insister sur le rôle fondamental du dessin et de la construction scénique, dont la maîtrise apparaît clairement dans ses œuvres.
Benitez s’inspire des portraits funéraires à l’encaustique de Fayoum et, familier de l’ancienne technique du tétrachrome (palette de quatre couleurs), il crée, grâce au mélange de pigments et de cires travaillées à chaud, des portraits qui transmettent un pathos, une émotion intemporelle, à la fois ancienne et extrêmement contemporaine ; approfondissant l’investigation psychologique du sujet, il exagère parfois certains traits physionomiques pour éviscérer la méta-émotivité et l’archétype de l’individu. Les portraits funéraires féminins égyptiens étaient en effet des œuvres qui, d’une part, exaltaient les modèles représentés en soulignant leur classe sociale et leur milieu familial, mais qui, d’autre part, procédaient à une analyse introspective particulière qui apparaît aujourd’hui comme le profil le plus moderne de ce type d’œuvres. Benitez étudie et analyse ainsi le rôle, la vie et la souffrance de l’être humain dans le monde contemporain, en les filtrant à travers l’examen historique de la société dans laquelle l’art a toujours joué un rôle fondamental.
– Michele Ciacciofera, 2024